Anne Sylvestre Malentendu
Rien ne les poussait l'un vers l'autre
Il aimait les blondes menues
Elle était rouquine et charnue
Les pieds plantés, la taille haute
Elle les aimait plutôt grands
Et baraqués façon gorilles
Il avait de faux airs de fille
Moyen, mais tout à fait charmant
Un beau jour qu'au bureau de vote
Il attendait les résultats
Devant ses pieds, il échappa
Des fleurs achetées pour Charlotte
Elle dit "Je m'appelle Emma
Vous saviez que j'aimais les roses"
Il n'osa pas nier la chose
Elle repartit à son bras
Elle était rapide en affaires
Au second tour des élections
Il se maria à reculons
Elle invita la Terre entière
Elle fit de leur nid d'amour
Un paradis jardin-terrasse
Il se bricola un espace
À l'entresol donnant sur cour
Leur vie s'écoula sans problème
C'est lui qui voulut des enfants
Dans un monde un peu différent
Il les eût bien portés lui-même
Elle les lui laissait sans dépit
"Chéri, c'est toi qui t'en occupes"
Et elle époussetait sa jupe
Lui se roulait sur les tapis
Elle ne rêvait que de montagne
Et de chalet, de pics neigeux
Il appelait de tous ses vœux
Un petit voilier en Bretagne
Ils achetèrent simplement
Une ferme en vallée de Loire
Pour les enfants, la belle histoire
Que ces vacances en pleins champs
Chacun faisant son bout de route
Ils vieillirent sans y penser
Jugeant que c'était bien assez
De dissiper ses propres doutes
Elle mourut à contrecœur
Il la suivit par politesse
Pour ne dépenser qu'une messe
Pour ne pas gaspiller les fleurs
Rien ne les poussait l'un vers l'autre
Rien ne les sépara non plus
Si ça se trouve, ils n'ont pas su
Avoir fait un parcours sans fautes
Mais leurs enfants tout éperdus
Firent graver dessus leur tombe
Sous l'image de deux colombes
"Ce fut un beau malentendu"